Soutenance de thèse : Gabriel Thiberge

Lundi 14 Décembre 2020, 10:00
Organisation: 
Gabriel Thiberge (LLF)
Lieu: 

En ligne

Gabriel Thiberge (LLF)
Acquisition et maîtrise des interrogatives partielles en français : La variation sociolinguistique comme outil interactionnel

Ce travail explore la variation en matière de production et de réception d’interrogatives partielles en français, et certains aspects de leur acquisition. Les phrases interrogatives partielles du français présentent une grande variété de formes et l’élément interrogatif peut notamment être après le verbe (in situ) ou avant (antéposition, accompagnée ou non d’une inversion verbe-sujet).

Cette variation a été reliée à des contraintes syntaxiques, phonotactiques, pragmatiques, ou encore à des enjeux sociolinguistiques. Des théories syntaxiques établissent notamment une différence de complexité entre les formes interrogatives, qui expliquerait la production précoce générale de formes in situ par l’enfant francophone : ce type serait le moins coûteux à produire.

Après l’introduction au Chapitre 1, le Chapitre 2 montre la nécessité d’enrichir les données disponibles, chez l’enfant et l’adulte, pour une vision multifactorielle du phénomène variationnel. Le besoin de considérer la variation sociolinguistique comme un outil est avancé. La concurrence de formes linguistiques permet à l’individu de construire et modifier son masque social (persona) dans l’interaction. Les enfants doivent développer cette capacité pendant leur acquisition du langage.
L’approche est empirique, comme expliqué dans le Chapitre 3, sur base de données de corpus et expérimentales. Le Chapitre 4 analyse des données de français oral spontané des années 1960-2000 (projets ESLO, EPAC). En intégrant la formalité du contexte interactionnel et le caractère fondamentalement social et utilitaire du langage, les données témoignent d’une utilisation spécialisée des formes interrogatives. Les variantes ne sont pas utilisées de la même façon dans tous les contextes, et certaines sont utilisées en fonction de la stratégie argumentative de la personne qui les produit.

Ces observations de corpus sont croisées et systématisées par des protocoles expérimentaux. Le Chapitre 5 présente sept expériences menées chez l’adulte. Des jugements d’acceptabilité sondent les préférences francophones en matière d’interrogatives, et nuancent la notion d’acceptabilité pour distinguer entre « bon français » et français adapté au contexte. Des tâches de matched-guise approfondissent les représentations et stéréotypes sociaux liés chez l’adulte aux différentes variantes interrogatives. Il s’en dégage un profil social type des personnes les utilisant.

Le Chapitre 6 décrit deux expériences menées auprès d’enfants francophones. La première suit un protocole parallèle aux études menées chez l’adulte mais adapté à l’enfant (N=136, âge=3-11 ans). Des associations entre formes linguistiques et stéréotypes sociaux (richesse, loisirs, études) se révèlent actives dès le plus jeune âge, puis se modifient avec le développement de l’enfant. Une activité de production spontanée met ensuite les enfants dans une situation de jeux de rôles (N=68, âge=4-9 ans). Elle montre une capacité active d’adaptation au contexte dans leurs productions interrogatives. Les enfants changent très tôt leur comportement linguistique selon que l’interaction est formelle ou qu’elle est informelle, puis perfectionnent leur maîtrise de cette capacité.

La confrontation des données des adultes et des enfants plaident pour un élargissement général du cadre d’analyse des interrogatives partielles et de leur acquisition. L’alternance de formes en français est régie par des considérations sociales, liées aux représentations stéréotypées des personnes qui les utilisent. Les enfants subissent l’impact dès leur plus jeune âge de ces représentations, et leurs productions précoces en sont nécessairement touchées.