LLF – Bât. ODG – 5e étage – Salle du conseil (533)
Gabrielle Aguila-Multner (LLF)
La morphosyntaxe des prédicats complexes français : montée des clitiques et périphrase
Dans cette thèse, j’étudie la distribution des formes pronominales faibles du français sous une perspective nouvelle. En partant des travaux sur le statut d’affixes lexicaux de ces formes (Miller, 1992a; Auger, 1993, 1994, 1995), je propose que la conclusion logique de ce résultat est de traiter la distribution de ces formes en termes morphologiques plutôt que syntaxiques. Je passe en revue les approches qui tiennent compte des propriétés affixales des formes pronominales faibles (Miller & Sag, 1997; Abeillé & Godard, 1996, 2002), et je montre qu’elles n’abordent par la morphologie que les formes de pronominalisation locales. Ces approches utilisent un mécanisme syntaxique (la composition argumentale) pour traiter la pronominalisation non-locale (la montée des clitiques). Je propose une réévaluation critique des arguments en faveur de ce mécanisme, et montre en particulier que les résultats des tests de constituance avec la complémentation verbale en français sont indépendants de la montée des clitiques. Sur la base d’une étude de corpus réalisée sur frWaC (Baroni et al., 2009), je montre également que la transparence des constructions à montée des clitiques aux dépendances bornées est également indépendante de ces constructions, et s’étend à de nombreux verbes à montée et à contrôle du sujet. À la faveur de travaux récents en morphologie (Vincent & Börjars, 1996; Ackerman & Webelhuth, 1998; Brown et al., 2012; Spencer, 2013b) sur la notion de périphrase flexionnelle, je propose que celle-ci est à la fois indépendamment motivée dans les constructions à montée des clitiques et suffisante à expliquer la montée des clitiques dans ces constructions. Je formule une implémentation de la théorie de la périphrase flexionnelle par sélection inversée de Bonami (2015) dans le cadre de la grammaire syntagmatique guidée par les têtes (HPSG, Pollard & Sag, 1994). Dans cette vision de la périphrase, le verbe auxilié sélectionne des propriétés de son auxiliaire ; je montre que la montée des clitiques peut dès lors se traiter comme un phénomène entièrement morphologique, dans lequel les arguments pronominaux (tout comme d’autres propriétés flexionnelles, comme l’information temporelle) sont simplement réalisés sur un élément ancillaire. Dans le cas des temps composés et des constructions copulatives, l’approche morphologique simplifie grandement la structure syntaxique par rapport aux approches précédentes à composition argumentale. Les aspects syntaxiques relevés dans la discussion de la composition argumentale reçoivent une analyse : en termes de canonicité de la réalisation (Bouma et al., 2001) concernant les problèmes de constituance, et en termes de montée du sujet pour les dépendances bornées (suivant en cela Grover, 1995). J’expose dans un dernier temps comment l’approche se généralise aux prédicats complexes. L’approche morphologique voit ces constructions comme des périphrases causatives assimilables aux causatifs synthétiques du japonais (Manning et al., 1999) ou des langues bantoues (Hyman & Mchombo, 1992). Je montre que cette perspective, qui voit le verbe infinitif comme une forme causativisée et lui applique ainsi une augmentation de valence, résulte spontanément en une implémentation de l’effet de monoclausalité requis pour traiter différentes propriétés spécifiques de ces contextes (réalisation du sujet, réflexivisation longue en se faire). Par rapport aux approches à composition argumentale, qui construisent la monoclausalité au niveau de faire, cette forme de monoclausalité améliore le traitement de plusieurs phénomènes sensibles à des propriétés du verbe infinitif, auxquelles faire n’a pas accès (Koenig, 1998), notamment le clitic trapping et la réalisation du sujet en par ou en de. Je développe enfin la position que la montée des clitiques depuis un infinitif est optionnelle en français.