LingLunch : Soyoung Yun-Roger (U. Paris Cité & UMR 7182 - CCJ) et Anne Zribi-Hertz (U. Paris 8 & UMR 7023 - SFL)

Jeudi 09 Octobre 2025, 12:00 to 13:00
Organisation: 
Karen De Clercq, Lisa Brunetti et Ira Noveck (LLF)
Lieu: 

LLF – Bât. ODG – 5e étage – Salle du conseil (533)

Point de vue et syntaxe : le coréen est-il « plus pragmatique » que le français ?

Soyoung Yun-Roger (CCJ, UPCité) et Anne Zribi-Hertz (SFL, UP8/CNRS)

LingLunch 9 octobre 2025, UPCité

 

Le coréen a pu être classé par certains linguistes parmi les langues « orientées vers le discours » (Li et Thompson 1975, 1979) appelées aussi « pragmatiques » (Huang 2000), distinguées des langues « orientées vers la syntaxe », ou « syntaxiques », comme le français ou l'anglais. Cette formulation prête à discussion (Zribi-Hertz 2009). Nous montrerons que, pour ce qui concerne la grammaire du point de vue, le coréen semble au contraire plus syntaxique que le français. Nous illustrerons ce point par les contraintes sur l'interprétation du verbe directionnel o ‘venir’ et sur celle de deux types de constructions impliquant un argument Expérient.

 

Comme l'ont observé divers chercheurs (par ex. J. Koo 2011), le verbe o 'venir' (comme ses homologues français venir, anglais come etc.) dénote un mouvement orienté vers un centre de perspective doué de conscience — dans le cas non marqué, le locuteur. Nous tenterons d'abord de préciser cette contrainte en coréen, en observant des exemples où le déplacement dénoté par o 'venir' se comprend comme ciblant non pas l'espace du locuteur, mais celui de l'allocutaire ou celui d'un référent de 3ème personne. Ceci nous conduira à admettre la nécessité d'un concept plus abstrait englobant mais ne se limitant pas au locuteur, que nous nommerons par commodité sujet de conscience. Ce concept a été travaillé sous divers noms dans la littérature linguistique (Kuno 1972, Kuroda 1973, Kuno & Kaburaki 1977, Banfield 1979, Zribi-Hertz 1989, Speas & Tenny 2003, S. Park 2025, etc.).    

 

Le fait remarquable concernant le verbe o en coréen est que le calcul de son orientation spatiale s'appuie systématiquement sur des propriétés morphosyntaxiques : type de phrase et sélection de la particule finale de phrase. Nous nous inspirerons fortement du modèle élaboré par Speas & Tenny (2003), révisé par Haegeman & Hill (2013), pour dégager une syntaxe sous-jacente à ces contraintes interprétatives.

 

Nous élargirons notre propos à deux autres types de constructions ayant en commun le fait qu'elles contiennent un prédicat assignateur du rôle Expérient et requièrent, de ce fait, l'identification d'un sujet de conscience : constructions auxiliées par o et prédicats subjectifs (dénotant l'état interne, mental ou somatique, d'un animé). Les particularités de ce dernier type de prédicat en coréen ont déjà retenu l'attention de plusieurs linguistes (S. Hoe, D. Lim & Y. Park 2015, K. Kim 2003, C. Lee 2016, J. Song 2018, S. Park 2022, J. Yeon 1996). Pour l'Expérient comme pour l'orientation déictique du verbe o, le calcul du point de vue interprétatif se révèle être, en coréen, systématiquement et strictement encodé par la morphosyntaxe.

 

Rien de tel en français, où le point de vue est signalé de façon non systématique et de manière lexicale.